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La Grille orthogonale à San Francisco​

 

Comme beaucoup de villes américaines, San Francisco s’est développée sous le modèle de la grille orthogonale créé par Thomas Jefferson, « père de la démocratie américaine Â». Longtemps utilisée comme outil de colonisation et de séparation équitable des terres, la grille ignorait toute particularité topographique et transformait artificiellement un espace aux paysages variés en un monde homogène. Habituellement utilisée en terrain plat, la grille rencontre alors, à San Francisco, une nature rebelle et insoumise. La forme urbaine de la ville découle alors d’un conflit entre l’outil du colonisateur et la topographie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

http://society6.com/product/San-Francisco-2-Ho8_Print?tag=architecture#1=45

 

 

L’origine de la ville : La Yerba Buena

 

La baie de San Francisco, d’abord occupée par le peuple natif des Ohlones, fut marquée par l’arrivée des colons espagnols en 1776. Ils érigèrent un poste militaire, Presidio, au nord de la péninsule, et l’arrivée de la mission religieuse Dolores mena ensuite à l’érection d’un deuxième village plus au sud. Suite à la colonisation espagnole de ce qu’ils nommèrent Yerba Buena (la bonne herbe), la péninsule passa aux mains des Mexicains en 1821, comme le fut le reste de la Californie. Entre les deux précédents villages, les Mexicains développèrent en 1836 les premières habitations aux abords de la baie, créant ainsi le port d’entrée principal. L’édification de deux routes principales contribua par la suite au transport; l’une vers le village au nord, Presidio, et l’autre vers celui au sud, Mission Dolores.

 

 

Le Plan Vioget (1839)

 

L’origine d’utiliser une grille urbaine sur le site mouvementé de San Francisco relève de l’ingénieur Jean-Jacques Vioget. Ce dernier avait été engagé par le maire Francisco de Haro en 1839 afin de réaliser un plan d’implantation pour de nouvelles parcelles à Yerba Buena qui n’était qu’alors qu’un petit village naissant et récemment borné. Il a ainsi escompté une « bataille contre Nature d’une manière si légère et insouciante qu’elle implique un combat pour plusieurs générations tant les travaux de terrassement, de nivèlement et de remblai s’avèrent de longue haleine. Â» (Lipsky, 1999 : 36)

 

Sous l’administration mexicaine, Vioget utilisa les mesures espagnoles en varas pour dimensionner rue et blocs du premier plan. Il planta 12 îlots de 150 x 100 varas (126 x 84 m) divisés en parcelles de 50 x 50 varas ( 42 x 42 m) ou 100 x 100 varas (84 x 84 m).

 

L’extension de Yerba Buena n’avait rien à voir avec la création d’une ville, la population n’atteignait alors qu’à peine une cinquantaine. Vioget ne pouvait donc pas s’imaginer le développement futur de San Francisco,  sa vision ne se limitait qu’à la création d’un bourg au creux d’une vallée entre les collines de la péninsule. Ainsi, la grille orthogonale lui paraissait appropriée puisqu’elle se développait uniquement sur un sol plat. Vioget n’avait donc rien d’un visionnaire, mais l’ordre urbain défini par ce dernier a néanmoins servi de point de départ à ses successeurs et a engendré la naissance de la ville.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plan de Yerba Buena d’après Jean-Jacques Vioget, 1839 (Lipsky, 1999)

 

 

 

La naissance de San Francisco : modification du mode d’acquisition du sol

 

En 1846, l’U.S Navy prit le contrôle de Yerba Buena avant même que la Californie ne soit vendue officiellement aux États-Unis par le gouvernement mexicain. La mise en place de l’administration américaine eut pour conséquence la modification du statut du sol et de son mode d’acquisition. Jusque-là, la terre n’était pas un bien que l’on pouvait échanger à des fins de profits, « mais un don de Dieu et du Roi qu’il fallait savoir cultiver et faire fructifier. Â» (Lipsky, 1999 : 47). La conception anglo-saxonne était très différent : le sol était considéré comme une marchandise. Ce changement fondamental eut pour conséquence que la spéculation foncière allait devenir une activité majeure de la ville. L’intérêt de repousser les limites de l’ancienne Yerba Buena se fit rapidement sentir. 

 

 

L’extension de la trame de Vioget : le Plan O’ Farrell (1847)

 

C’est donc en 1947, qu’un ingénieur irlandais, John O’Farrell poursuivit le travail de Vioget. La naissance de la ville de San Francisco fut proclamée et O’Farrell réalisa un nouveau plan qui élevait le nombre de parcelles à trois-cent-soixante à partir de la trame d’origine de Vioget.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plan de San Francisco par Jasper O’Farrell, 1847 (Lipsky, 1999)

 

 

Durant la même année, la pression spéculative est toujours plus forte, on décide d’étendre la grille de Vioget vers l’Est en vue d’une vente au profit de la municipalité, puis vers l’Ouest jusqu’à Hyde Street. O’Farrell décide ensuite l’ouverture d’une très large avenue, Market Street, de 33 m de large et qui permettait la liaison en direction de Mission Dolorès, séparant toutefois culturellement et géographiquement l’ancienne et la nouvelle étendue. Au Sud de cette grande diagonale, il implanta des îlots de plus grande taille de 200 varas x 300 varas, découpés en six parcelles, avec des rues de 25 m de large, perpendiculaires à Market Street et à 45° de la grille existante. La rencontre des deux grilles engagea un découpage en triangles qui donna au quartier son aspect urbain en même temps qu’une barrière nord-sud. Le fait que ces deux grilles ne correspondent pas reste encore aujourd’hui un obstacle à la circulation.

 

Les années 1850 permirent ainsi à la ville de se développer davantage, mais aussi très rapidement; plusieurs bâtiments s’y construisirent, de grandes compagnies, comme Levi Strauss, la choisirent pour se développer. Ceci dura seulement une décennie puisque la ville tomba dans une crise financière vers la fin des années 1850.

 

Le travail de O’Farrell consista donc essentiellement à élargir les rues implantées par son prédécesseur et d’implanter une grille de larges rues orthogonales dans la partie sud de la ville où la planéité justifiait ce choix. Il aurait pu faire autrement en proposant un système urbain plus adapté à l’extension future du site encore vierge et montagneux. La grille a donc encore été un outil de tracé. Mais dans les circonstances de spéculations et avec la ruée vers l’or de 1848-49, la qualité de O’Farrell aura été d’avoir fourni une structure de base pour accueillir des milliers de nouveaux immigrants qui s’installèrent dans la ville en un temps très court. 

 

 

Le plan Eddy (1851)

 

Dans un climat d’urgence et de fièvre spéculative, William M. Eddy eut la responsabilité de compléter le travail de O’Farrell vers l’ouest, afin de fournir aux nouveaux résidents les terrains nécessaires à leur installation. La division en blocs de grande taille amorcée fut poursuivie suivant la même géométrie jusqu’à Johnson Street (Ninth Street). Il était alors « plus important de définir sur papier les titres de propriété à mettre en circulation que de concevoir un développement urbain harmonieux et réaliste. Â» (Lipsky, 1999 : 59)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plan de San Francisco par William M. Eddy, 1851 (Lipsky, 1999)

 

 
Milo Hoadley, qui avait la tâche d’adapter concrètement ces tracés théoriques, fut confronté de manière dramatique à l’inévitable distorsion existant entre la grille et la réalité du terrain. En 1953, le Conseil Municipal prit la décision de régulariser les pentes des rues. Suite à de nombreux problèmes, la Ville fut obligée de revoir le projet et de nommer un nouveau comité qui développa une vision précurseur de la ville : voir les collines comme la richesse du paysage et définir une hiérarchie des voies afin de déterminer celles dont la pente devait être corrigée pour permettre la circulation ou celles que l’on pouvait laisser suivre la topographie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Panorama depuis Russian Hill (régulariser les pentes des rues), 1874 (Lipsky, 1999)

Morphogénèse

évolution de la ville

Découverte des mines d’argent et la construction du chemin de fer (1862-1869)

 

Suite à la découverte de mines d’argent, en 1862, San Francisco obtint une deuxième chance de se développer. Constructions de logements, de bureaux, d’usines et de plusieurs rues ont ainsi enrichit la ville. Toutefois, San Francisco demeura isolée des autres villes industrialisées des États-Unis. À cet effet, une voie ferrée transcontinentale reliant les deux puissances américaines, San Francisco et New York, s’est construite en 1869. Toutefois, cela engendra une dépression économique locale dû à la confrontation de l’offre peu diversifiée et instable de l’ouest à celle fleurissante de l’est.

 

 

La carte officielle Langley (1879)

 

C’est en 1879 que Langley dessina une carte officielle misant sur l’exploitation des zones plates. Cette carte présentait l’extension de la ville, vers  les territoires les plus développables.  Essayant de remédier aux négligences faites par ses prédécesseurs dans l’aménagement des parcelles et des rues, il travailla avec la topographie particulière de la péninsule pour développer lui aussi une grille. Il convertit donc les mesures des lots, passant des varas au système impérial en pieds et pouces, et façonna des blocs typiques de 200 pieds par 400 pieds, pour répondre à une demande de plus petits lots. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Carte officielle de San Francisco, par Langley, 1879 (Moudon, 1986)

 

 

Développements importants et tragédie (1880-1906)

 

Une forte augmentation de la population caractérisa les années 1880 à 1890. Cela engendra la construction de plusieurs milliers de maisons. San Francisco était devenue la neuvième plus grande ville américaine, et la plus grande sur la côte occidentale, avec une population de près de 410 000 habitants (Nolte, 2006.) Pendant environ six décennies, la ville était le centre financier, commercial et culturel de l’Ouest américain.

 

Cependant, l’année 1906 fut marquée par un important tremblement de terre qui fut suivi d’incendies qui dévastèrent près de la moitié de la ville. Ceux-ci se déclarèrent à plusieurs endroits de la ville.

 

 

 

 

 

 

 

 

Vue de destruction of the destruction brought about by the San Francisco Earthquake,1906. http://commons.wikimedia.org/wiki/File:San_Francisco_earthquake.jpg

 

 

Des plans pour la replanification et la reconstruction de la ville furent élaborés dès le jour même du séisme. L'un des plans les plus ambitieux était celui du célèbre urbaniste Daniel Burnham, mais la vision de ce dernier fut jugée trop peu réaliste. Il fut donc ignoré et le tracé des rues existantes subsista. On profita toutefois de la reconstruction massive pour se moderniser; on y construisit plusieurs gratte-ciels. Vers le milieu des années 1920, on vit se construire les plus importants bâtiments civiques de la ville comme les bureaux de l’État, le Palais de justice, la bibliothèque et l’auditorium civique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Market Street and Ferry Plaza [circa 1920s]. http://www.sanfranciscodays.com/postcards-then-now/

 

 

L’après-guerre : une autre phase marquante pour la formation de San Francisco

 

Après la Seconde Guerre mondiale, San Francisco était tout aussi tentée que les autres villes américaines de construire un vaste système d’autoroutes. En 1951, la carte du San Francisco Planning Department réalisée en 1948 fut adoptée. Celle-ci démontrait les intentions d’ériger dix autoroutes qui allaient parcourir la ville. Le Bay Bridge serait relié au Golden Gate via l'Embarcadero Freeway et les autoroutes s’étendraient dans les quartiers de Richmond et Sunset. Si la ville avait construit toutes les autoroutes indiquées sur cette carte, Mission Street, une artère nord-sud, serait en fait aujourd’hui une autoroute.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plan des autoroutes proposées à San Francisco, 1948. https://www.vanshnookenraggen.com/_index/2011/01/unbuilt-highways-of-san-francisco/

 

 

Comme pour la Californie du Sud, la planification autoroutière initiale de la région de la Baie de San Francisco et de ses environs était très ambitieuse. Cependant, contrairement à la Californie du Sud, San Francisco fut le foyer d’une révolte contre les autoroutes dans «la ville».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Plan des autoroutes à San Francisco, 1955. http://www.vanshnookenraggen.com/_index/wp

content/uploads/2011/01/1955trafficways.jpg

 

 

Les autoroutes Bayshore (101) et Southern (280) ont été complétées sans trop de répercussions et elles desservent toujours la ville aujourd’hui. Toutefois, les habitants de San Francisco commencèrent à protester contre le reste des autoroutes prévues pour atteindre le nord de Market Street, et qui allaient pratiquement se construire dans leur « cour arrière. » La construction de l'autoroute Embarcadero, élevée le long du front de mer du centre-ville, a notamment engendré l’organisation de l'opposition. En 1959, le mouvement anti-autoroutes est venu à la tête de ce qu'on appela la Freeway Revolt et exigeait l’annulation de sept des dix autoroutes prévues, notamment l'Embarcadero Freeway pour laquelle la construction était déjà commencée.  Lorsque le travail de cette dernière fut interrompu, 1,2 mile de l'Embarcadero Freeway était déjà complété. La route inachevée s'avançait jusqu’à la sortie Broadway. Cette autoroute est devenue un enjeu politique pendant de nombreuses années, jusqu’au moment où le tremblement de terre Loma Prieta de 1989 la rendit dangereuse. On décida donc de la démolir.

 

Les autoroutes refusées, y compris la portion inachevée de l’autoroute Embarcadero/Golden Gate (480) incluaient;

  • les autoroutes Serra et Park Presidio (1-280);

  • l’autoroute Western (extension de I-80);

  • l’autoroute Central (de Turk Street à l’autoroute Golden Gate -  480);

  • l’autoroute Crosstown;

  • l’autoroute Mission (de la 13th Street jusqu’à la connexion avec l’autoroute Southern).

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Plan des autoroutes construites, démolies et annulées, basé sur le plan de 1955. http://www.vanshnookenraggen.com/_index/wp-content/uploads/2011/01/freeway_revolt.jpg

 

 

Cette opposition condamna la majorité des autoroutes prévues à San Francisco et laissa un gout amer pour l’aménagement d’autoroutes chez de nombreux citoyens. C’est en 1971 qu’il y eut lancement du plan de design urbain par le San Francisco Department of City Planning. De plus, il est intéressant de voir comment San Francisco aurait pu évoluer avec le plan soumis en 1948. Elle n’aurait effectivement pas pu devenir la ville cohérente et accessible au piéton, telle que nous la connaissons aujourd'hui.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

San Francisco Hill, http://society6.com/bran2323/San-Francisco-Hills-2_Print#1=45

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