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Mobilités territoriales :

Le Transit-Oriented Development comme stratégie d’aménagement

 

Audrée Dumouchel et Joanie Madore

 

 

Tels que présentés précédemment, les enjeux concernant les transports et les villes sont très présents en Amérique du Nord. Parmi les plus discutés, celui sur les autoroutes et les transports en commun amène toujours des dilemmes forts et est d’ailleurs très actuel. Les promoteurs des transports en commun sont critiqués d’être trop engageants sur toutes sortes de bénéfices sociaux et environnementaux quant aux investissements, sans faire référence au fait que les transports en commun sont en fait un outil spécialisé pour le développement urbain (DITTMAR et al., 2004). Dans ce sens, planifier le réseau viaire peut influencer les pratiques de mobilité territoriale. Ce cadre d’analyse abordera donc la mobilité urbaine sous l’angle de l’aménagement et de la recherche de solutions face à l’utilisation abusive de l’automobile.

 

Ce travail se concentrera sur un exemple d’aménagement lié aux transports en commun : le Transit-Oriented Development (TOD).[1] Plus spécifiquement, il sera orienté selon la question suivante : Comment mesurer l'efficacité des TODs afin de vérifier l'influence de ce modèle d'aménagement sur les parts modales des transports collectifs et actifs dans les villes ?

 

Les principes de développement des TODs ont donné lieu à plusieurs expérimentations dans des villes comme Portland, San Francisco, Vancouver et même Montréal. Dans l’idée de toujours vouloir améliorer les projets à venir, les réflexions et la littérature entourant l’évaluation des TODs s’avèrent pertinentes. Le présent travail s’attardera à réunir différents cadres d’évaluation afin de retirer les critères d’efficacité d’un TOD qui peuvent outiller les développements futurs. Dans un premier temps, une définition étayée du Transit-Oriented Development sera émise.  Puis, les éléments à considérer dans l’évaluation d’un TOD seront développées, soient le type d’évaluateur, l’échelle d’évaluation et la nature de celle-ci. Finalement, diverses visions d’auteurs sur l’évaluation seront analysées et un compte rendu des critères faisant consensus permettra de former une base pour le prochain travail d’analyse portant sur une ville en particulier.

 

 

1. Les principes du Transit-Oriented Development

 

Un Transit-Oriented Development est une façon de concevoir une communauté prônant une mixité des usages, dans un rayon de marche dit confortable, soit 2000 pieds (CALTHORPE, 1993). C’est une manière d’utiliser les infrastructures existantes afin de réduire la dépendance à la voiture et d’améliorer la façon de se déplacer en ville, tout en diminuant l’étalement urbain (BRINKLOW, 2010). Le modèle se développe autour d’une station de transports en commun et d’un noyau commercial. Plusieurs types d’habitations se côtoient, de même  que des résidences locatives, des propriétés, des bureaux, des magasins, des services, et des espaces verts. Tout ce dont les habitants et les travailleurs nécessitent au quotidien est donc accessible à pied ou à vélo. La densité peut différer selon la proximité des services, mais elle est toujours moyenne à élevée. Il y a aussi différents types de TOD. Le TOD urbain se développe autour du tronc principal du réseau de transports et est constitué principalement de commerces, de bureaux, et d’un peu d’habitations. Le TOD de quartier se situe près des voies de transports en commun secondaires. D’une densité modérée, plusieurs résidences, services et espaces de divertissement s’y retrouvent (CALTHORPE, 1993). Principalement, les TODs ont pour objectifs d’améliorer la qualité de vie des ménages, de réduire les frais de transports et les impacts environnementaux tout en fournissant une alternative à la congestion du trafic.  

 

 

« While TOD is not a panacea for community development, if done correctly, this form of development can create vibrant places and boost social interaction, instill a sense of community, and provide safe public spaces. »                                                              

                                                - Angela Brinklow (2010)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 2.1: Diagramme d’un TOD (Brinklow, 2010)

 

Il y a plusieurs avantages à vivre dans un TOD, outre la proximité des services et des transports. Les TOD sont des communautés vibrantes, où cohabitent des personnes provenant de diverses tranches sociales. Cette diversité sociale amène une diversité des besoins, donc des commerces. Selon Gehl, il y a trois types d’activités dans les places publiques ; les nécessaires, les optionnels et les sociales. Il est possible de retrouver ces trois types d’activités. Enfin, selon Jacobs, plus un quartier est piétonnier, plus il est sécuritaire. (Brinklow, 2010)

 

 

2. Les éléments à prendre en compte dans l’évaluation d’un TOD

 

L’objectif de recherche de plusieurs auteurs concernant l’évaluation de TODs est de développer une stratégie pour mesurer le succès et les résultats d’un TOD. Or, il existe plusieurs éléments qui influencent ce travail d’évaluation. Dans un premier temps, Belzer et Renne s’entendent sur le fait que les évaluations sont subjectives, car elles dérivent souvent des intérêts des évaluateurs et c’est qui peut créer une ambiguïté lorsque vient le temps de définir ce qu’est un bon ou un mauvais TOD. C’est pourquoi, selon Renne, il faut accorder une importance particulière au type d’évaluateur lors de la consultation d’un rapport d’évaluation. Les indicateurs et les bénéfices ressortis dans l’évaluation d’un TOD sont exprimés par :

 

           1) les représentants de divers organismes gouvernementaux                       (d’État ou régionaux),

           2) les organismes de transports en commun,

           3) les agences de réaménagements locales,

           4) les communautés et

           5) les promoteurs privés.

 

Pour Belzer, les usagers des transports et le voisinage de zone d’aménagement TOD sont aussi des groupes qui doivent faire partie de l’évaluation. Le nombre considérable d’acteurs amène véritablement des divergences dans l’évaluation puisque chacun y défend ses intérêts. Les critères d’évaluation des organismes de transports, par exemple, seront davantage orientés vers la demande du service. Les communautés et les gouvernements locaux s’intéresseront aux emplois créés, à l’effervescence du quartier et aux taxes générées. Les promoteurs privés, quant à eux, se tourneront plus vers des questions en termes de délais, de rentabilité et de risques économiques. Outre le type d’évaluateurs, un élément qui peut faire diverger les résultats ou le modèle d’évaluation est le type d’échelle d’intervention. Certaines caractéristiques visent une réussite régionale alors que d’autres visent à évaluer une réussite locale. Dans les prochains paragraphes, ces échelles seront précisées dans les façons d’évaluer de certains auteurs. Finalement, il est à noter aussi que la nature même des évaluations peut diverger. Les résultats peuvent donc s’avérer quantitatifs (comme le prix de vente des maisons ou des distances maximales à parcourir) ou qualitatifs (comme le confort des piétons).

 

Maintenant que les principaux facteurs à prendre en compte dans l’évaluation d’un TOD ont été survolés, il sera intéressant de consulter le travail et la vision de l’évaluation selon différents auteurs.

 

 

 

3. Mesurer l’efficacité d’un TOD selon John L. Renne

 

En 2005, John L. Renne et Jan S. Wells furent les premiers spécialistes à présenter un outil permettant de mesurer le succès d’un TOD. Renne illustre ce procédé par l’élaboration d’indicateurs définis selon un cadre de durabilité environnementale (Renne, 2007). Selon Renne, la littérature actuelle sur les TODs s’attarde principalement sur les impacts des habitudes de transports et sur la valeur des propriétés environnant les stations de transports. L’auteur propose plutôt un outil pour encourager le développement durable et la « croissance intelligente Â» (smart growth) afin d’être cohérent avec l’objectif premier des TODs, soit d’encourager un développement urbain durable autours de noyaux de transports en commun. Ainsi, Renne défend que pour évaluer l’efficacité d’un TOD, on doit mesurer la durabilité de ce type de développement.

 

 

a. La durabilité d’un milieu

 

Avant de poursuivre sur l’outil d’analyse de John L. Renne, il est pertinent de comprendre en quoi consiste l’évaluation de la durabilité. 

 

Pour évaluer la durabilité,  Graeme Evans et Jo Foord, par exemple, ont développé un outil qui se base sur des Geographic Information Systems (GIS) et des observations expérientielles.  Leur travail a entraîné une recherche empirique sur le design et le processus de planification qui contribuent à la qualité de vie urbaine, en encourageant une mixité dans les domaines social, économique et physique du territoire (Graeme Evans et Jo Foord, 2007).

 

  • Social en termes: de revenus, d’occupation du logement, de démographie, de visiteurs et de modes de vie.

  • Économique dans : l’activité, les industries, les échelles (du micro au macro), la consommation et la production.

  • Physique en s’appuyant sur : la classe de planification, les fonctions, les équipements communautaires, etc.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 2.2 : Mixité et durabilité (Graeme Evans et Jo Foord, 2007)

 

Ainsi, les auteurs entrevoient la durabilité comme un équilibre entre ces trois dimensions (voir figure 2.1). Cette mixité évoquée implique donc une  augmentation de la densité, une mixité fonctionnelle dans les bâtiments encourageant les emplois locaux et, conséquemment, la réduction du transport pour aller au travail ou aux activités quotidiennes.

 

 

b. L’évaluation d’un TOD selon la durabilité

 

Dans la même lignée que Graeme Evans et Jo Foord, Renne situe le développement durable au croisement du développement économique, de la gérance environnementale et du développement communautaire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 2.3 : Theorical Model of Sustainable Development (Renne, 2007)

 

Afin de comprendre comment le développement durable se rapporte aux politiques urbaines et au développement, Renne dresse un schéma de l’évaluation de la « durabilité Â».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Figure 2.4 : Framework of Evaluating Sustainable Develpment Policies (Renne, 2007)

 

 

Ainsi, toute tentative d’évaluation d’un TOD devrait refléter cette vision « holistique Â» de la durabilité selon les trois grands groupes de critères (économiques, environnementaux et sociaux). L’outil d’analyse est une grille mettant en relation des données numériques qui correspondent à différents résultats reliés au développement d’un TOD. Cette grille déploie cinquante-six indices de performances fournies par différents acteurs de la ville comme le réseau de transport  en commun ou le Bureau des statistiques, par exemple (Voir le tableau 3.1 en annexe correspondant à un exemple d’analyse de la ville de Perth, en Australie-Occidentale). Ces indices de performances se divisent ensuite en cinq catégories, soient :

  • les habitudes de déplacement ;

  • la performance économique

  • la performance environnementale ;

  • les environnements bâtis ;

  • les bénéfices sociaux.

 

La grille d’analyse permet donc, une fois les données entrées, de tirer des conclusions quant aux bénéfices et aux inconvénients d’un développement employant le système TOD.

 

Graemes, Foord et Renne s’entendent donc pour définir la durabilité comme une mixité équilibrée des aspects sociaux, économiques et physiques, procurant ainsi des qualités de vies au quartier. Renne propose qu’en mesurant la qualité de vie qu’on retrouve dans le TOD, il est possible d’évaluer si un TOD est durable ou non.

 

 

4. Mesurer le succès d’un TOD selon Niles et Nelson

 

Les auteurs soulignent d’abord l’importance de différencier les bénéfices locaux et régionaux produits par un TOD et l’ampleur des avantages à chacune des deux échelles de mesure respectives. Ils avancent que les avantages à l’échelle locale ne peuvent se traduire par des retombées régionales, en particulier au regard du coût des investissements dans les transports nécessaires pour relier les noyaux entre eux. Les auteurs, après avoir examiné des études empiriques, se rendent compte que c’est à l’échelle régionale que la planification est susceptible de produire des retombées régionales importantes, car la quantité de facteurs nécessaires à la réussite régionale est plus importante que ceux qui sont nécessaires pour une réussite locale. Niles et Nelson tentent ensuite de comprendre les facteurs qui déterminent le succès aux deux différentes échelles. Ces facteurs ont un impact significatif, à la fois sur la station de transport (échelle locale) qu’au niveau du couloir du TOD (échelle régionale).  Ensemble, les facteurs indiqués dans leur tableau (tableau 3.2 en annexe) représentent des variables indépendantes qui pourraient prédire la probabilité de succès ou mesurer l’ampleur d’un TOD aux deux échelles d’intérêts. Des études ont tenté de mesurer l'effet de ces variables, prises séparément, tandis que d'autres ont mesuré leurs effets combinés. Les facteurs de ce tableau comprennent des éléments tels que le nombre de stations (échelle régionale), les emplois et la densité de logements (échelles locale et régionale), les politiques gouvernementales (échelle régionale) ou encore le tracé des rues (échelles locale et régionale).

 

 

5. Mesurer le succès d’un TOD selon Angela Brinklow

 

Brinklow (2010) évalue le succès des TOD selon une grille d’indicateurs de succès. Ce tableau se divise en quatre catégories, soit le transport, l’économie, l’aspect social et le design physique (tableau 3.3 en annexe). Ces critères ressemblent à ceux utilisés par les précédents chercheurs, mais se précisent en différents sous-points que l’auteure évalue selon le succès régional et local. Elle précise aussi que pour mesurer, il faut comparer avec d’autres cas déjà étudiés.  De plus, il est important de considérer le succès d’un TOD selon les trois « D » formant l’aménagement idéale : la densité, la diversité et le design.

 

Le succès du transport en commun, toujours selon Brinklow (2010) dépend de l’augmentation  de l’utilisation de celui-ci. Le succès économique, quant à lui, peut se mesurer par la demande de développement, tant résidentielle que commerciale. Plus la demande est élevée, plus le TOD représente un succès, et plus il est réussi, plus les résidents ont envie d’investir. La réussite au point de vue social se calcule par des maisons abordables, par une diversité des types de construction ainsi par développement d’un sens de la communauté. La diversité des ménages est aussi un point important pour mesurer le succès social; les jeunes professionnels, les couples, les collocations, les familles, les enfants et les personnes âgées contribuent à la richesse démographique, aux échanges et l’effervescence d’un TOD.  La question du confort et de la sécurité est tout autant un facteur important à considérer. Par ailleurs, la qualité de l’environnement bâti et de l’expérience piétonne est également un indicateur de succès important du design physique, bien qu’il soit difficile à mesurer. La densité du résidentiel et du non résidentiel est aussi vitale au succès ; plus la densité est forte, plus les gens sont portés à marcher ou à utiliser le transport en commun, car les distances sont généralement plus courtes. Finalement, l’élément primordial pour évaluer un TOD est la nécessité de toujours comparer son succès avec d’autres de la même région.

 

 

6. Retour sur l’évaluation des TODs

 

En analysant les points de vue sur les évaluations, il est possible de se rend compte que la méthodologie diffère sur certains points, mais que dans tous les cas, les critères, les indicateurs ou les facteurs analysés sont des éléments choisis de façon rigoureuse qui correspondent aux effets engendrés de la stratégie d’aménagement. Ces derniers varient de l’échelle locale à régionale et se classes dans des catégories distinctes, allant des impacts économiques au confort des résidents. Lors de l’observation d’un rapport d’évaluation, il faut évidemment tenir compte du type d’évaluateur. Nécessairement, les intérêts des différents acteurs impliqués dans ce travail diffèrent et rend l’évaluation subjective sur certains points. Renne appuie son évaluation sur une analyse de la durabilité qui va dans le même sens que le travail de Graemes, Foord et qui est en lien avec la qualité de vie d’un quartier. Le travail de Renne propose une suite intéressante puisqu’il détermine les axes d’amélioration à viser en termes de durabilité pour les prochains TODs à développer.

 

 


 

[1] Développement bâti basé autour des pôles de transport, dans un rayon confortable pour la marche ou le vélo et misant sur une mixité des usages résidentiels et commerciaux.

 

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